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En 1859, Viollet-Le-Duc, architecte de Notre-Dame de Paris, souhaite que le grand-orgue de la cathédrale soit reconstruit. Il s'adresse à Cavaillé-Coll qui, l'année suivante, lui remet un devis d'un montant de 115.547,50 francs pour "un instrument de premier ordre à quatre claviers et pédalier, suffisant pour les dimensions de l'église". La décision tarde à être prise car les budgets sont absorbés en priorité pour la restauration du bâtiment, et Cavaillé-Coll ne souhaite pas non plus hâter la conclusion du marché, étant fort occupé à Saint-Sulpice. Le 23 décembre 1862, le marché lui est attribué. Entre-temps, Viollet-Le-Duc décide de supprimer le buffet de positif et Cavaillé-Coll en profite pour repenser la composition de l'orgue qui sonne pour la première fois au cours de la messe de Noël 1867. Le 8 mars 1868, il est inauguré par Franck, Saint-Saëns, Widor, Guilmant, Durand, Loret et Chauvet, suscitant l'admiration des musiciens et du public. De nombreuses années après, Vierne écrira : "Depuis l'époque où le génial constructeur Aristide Cavaillé-Coll dota l'orgue des inventions mécaniques et harmoniques que l'on sait et qui sont l'impérissable gloire de son nom, la voie ouverte par lui a été largement parcourue par les successeurs et l'on peut dire que l'instrument géant est devenu un véritable orchestre avec sa technique et son esthétique spéciales". Pourtant, au milieu de notre vingtième siècle, il fut de bon ton d'attaquer cette facture, de la considérer comme négligeable et de détruire les instruments de Cavaillé. Nombre d'entre-eux sont irrémédiablement perdus ou dénaturés. Notre époque est fort heureusement revenue à des sentiments plus justes envers Cavaillé. Pour le facteur d'orgues Bernard Hurvy : "ce qui demeure frappant chez cet homme hors du commun, et ce qui contribue certainement à faire sa juste renommée, c'est que finalement, sur fond de décennies d'explosion d'un certain matérialisme où le progrès technique avait tendance à primer, il a su conserver par dessus tout une identité propre et une véritable volonté artistique ; pour lui, et tout au long de son uvre, c'est en fin de compte le son porteur d'émotion, donc de musique (ou l'inverse), qui est toujours resté l'ultime vraie finalité. Un vrai facteur d'orgues peut lire cela dans le matériel instrumental, un auditeur l'entend, et les vrais musiciens de l'époque ne s'y sont pas trompés". Son ultime chef-duvre est le grand-orgue de Saint-Ouen de Rouen. Si Cavaillé-Coll se rend en 1851 à l'abbatiale pour constater l'état du grand-orgue édifié en 1630 par Crespin Carlier, ce n'est que 37 ans plus tard qu'il est chargé de le reconstruire. Ce grand seize pieds, de 64 jeux avec pédalier de 32 pieds, "l'orgue à la Michel-Ange", comme disait Widor, est parvenu jusqu'à nous dans sa beauté originelle. N'est-ce pas pour cet instrument qu'ont été écrits, notamment, la Symphonie Gothique, de Widor, et le Prélude, Cantilène et Final, de André Fleury ? De la manufacture Cavaillé-Coll, sortiront environ 500 instruments, du plus petit positif aux instruments monumentaux de cinq claviers, destinés aux cinq continents. De la France à la Chine, de la Roumanie à la Bolivie, de l'orgue de salon à l'orgue de cathédrale, Cavaillé-Coll bâtit une uvre considérable : l'orgue du Trocadéro pour l'Exposition Universelle de 1878 (64 jeux), ceux de l'église Saint-François de Sales à Lyon (1880, 45 jeux), de Saint-Etienne de Caen (1885, 51 jeux), de la cathédrale de San Sebastian (1863, 44 jeux), de Sheffield (1873, 64 jeux), du Palais de l'Industrie à Amsterdam (1875, 46 jeux), ou encore du Conservatoire de Bruxelles (1880, 44 jeux).... En ce dix-neuvième siècle où l'on construit, reconstruit ou agrandit tant d'instruments à tuyaux, plusieurs noms honorent la facture d'orgues, Callinet, Daublaine, Stolz, Merklin, Abbey, Debierre, mais celui que porte Aristide reste le plus emblématique de cette époque. Le maître facteur d'orgues est mort le 13 octobre 1899. Passionné de musique, acousticien et mécanicien génial, il crée l'orgue du XIXème siècle dont l'influence est considérable sur la littérature musicale rattachée à cet instrument, sans toutefois réaliser son grand projet, construire le grand-orgue de Saint-Pierre de Rome avec ses 150 jeux et son buffet de 26 mètres de haut... Cavaillé-Coll était un grand seigneur de l'orgue, certes, mais son existence était aussi une attitude devant la vie, ou mieux, une manière de vivre, pour paraphraser Bernanos. |
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