Au sujet du deuxième mouvement, "vif",
de la Symphonie n°2 d'André Fleury |
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par François Lemanissier | ||||||||
J'aimerais ici rendre témoignage de nombreuses conversations que j'ai pu avoir avec André Fleury au sujet de cette pièce souvent incomprise, notamment par les déchiffreurs inattentifs, qui ne saisissent dans ces douze pages difficiles que vélocité gratuite. Ce n'est pas sans humour qu'André Fleury désignait souvent ce mouvement comme son "hommage à Czerny". Il est vrai qu'il s'agit d'un véritable morceau de bravoure puisque, sur ses 143 mesures, 136 exigent de monter et descendre des gammes modulantes en doubles-croches alternativement aux deux mains, et dans un tempo très rapide.. Mais la comparaison avec Czerny s'arrête là. Il faut maintenant cesser de faire une fixation sur ces gammes, comprendre qu'elles ne constituent aucunement une fin en elles-mêmes, qu'elles sont au service d'une forme musicale très stricte, et surtout qu'elles ne constituent en rien le matériau thématique de l'uvre. Précisons d'abord que le tempo indiqué (q = 138) a été revu par la suite, puisque sur son édition de travail, l'auteur a ajouté au crayon : " q = 112-116". Il va sans dire qu'on peut considérer cette correction comme hypothétique ou éventuelle. Mais elle est le signe manifeste qu'André Fleury ne concevait pas cette pièce comme un simple exercice de virtuosité manuelle. Quelques indications analytiques permettront de mieux en juger. Ce mouvement est un "Allegro à deux thèmes", appelé aussi "Allegro de sonate" (1). En voici les grandes lignes : 1 Exposition : Thème A (mesures 1 à 24) Thème B (mesures 25 à 44) 2 Développement (mesures 45 à 90) 3 Réexposition (mesures 91 à 130) 4 Coda (mesures 131 à fin) Dans l'exposition, le thème A n'est pas constitué, comme on pourrait le croire à la première lecture, par l'ensemble des gammes en doubles-croches exécutées à la main droite. La principale raison de cette erreur est l'incompatibilité de la registration prescrite (2) avec les orgues d'aujourd'hui, ou les instruments qu'a connus et aimés André Fleury (Cavaillé-Coll ou Roethinger, par exemple). Par conséquent, respecter scrupuleusement cette registration, c'est inévitablement grossir à outrance la main droite, les gammes sur le Positif, au détriment du reste qui est joué au Récit. Or, justement, ce "reste" n'est rien moins que le thème A ! C'est donc sur la main gauche, au Récit, qu'il faut attirer l'attention de l'auditeur, lorsque le thème A est exposé. André Fleury était parfaitement conscient des problèmes que soulève la registration prévue au moment où il a publié l'uvre (1949). Sur son édition de travail, il soumet d'autres possibilités qui révèlent toutes son désir de faire entendre plus ostensiblement la main gauche3. En somme, au point de vue de l'équilibre des plans sonores dans cette pièce, il faut comprendre les choses ainsi : R. mezzo forte (pour le thème A) P. piano (pour les gammes) G. mezzo forte (pour le thème B) |
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Ces précisions admises, constatez le caractère lancinant des deux thèmes : | ||||||||
Voilà qui confère à cette pièce un caractère à la fois candide et mélancolique, le souvenir du travail ardu des gammes chez le jeune organiste entraînant la musique la plus nostalgique qui soit, sorte de résurgence des comptines de son enfance.
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(1) Remarquons que, traditionnellement, une telle structure ouvre la Symphonie, alors que dans sa Symphonie n°2, André Fleury retarde l'Allegro, en le faisant précéder d'un premier mouvement de forme "Lied" (A-B-A'-coda) (2) R. Bourdon 8' - Flûte 4' (3) Par exemple : R. Fds 8' - Flûte 4' |
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La symphonie n°2 est éditée par Henry Lemoine. | ||||||||
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